Thursday, February 23, 2017

5 oramas, 5 vitas

1. Métrosexuel de confession, je tenais à m’accorder à la tyrannie du look auquel s’attachait divers efforts: régime, exercice, obstination et j’en passe. Cela voulait dire que j’avais, du moins à vue de nez, la parfaite morphologie d’un mannequin sans qu’on doive m’altérer et me modifier grâce aux logiciels adéquats tels que les hommes à soi-disant abdominaux sculptés figurés sur la page de couverture ont connu. Pour pérenniser ce don physique longtemps escompté, un cadre intransigeant s’impose à ma vie routinière dans laquelle j’avais intérêt de faire du jogging. Il neigeait et j’ai eu de petites voix dans l’esprit qui me susurraient de rester exceptionnellement à l’intérieur  dont l’air était ambiant pour cette soirée-là. À contrario d’Oscar Wilde, je me maîtrisais de mes élans triviaux contre lesquels se battaient puérilement les intentions nées en amont. Comme d’habitude, je sortais, pourvu d’un frontale,  au moment où le crépuscule dorait l’horizon avec son dernier raie du jour, après quoi le cœur de la forêt ténébreux faillait glisser en total néant si ce n’est une lumière argentée succédant pile à son heure éclairait distinctement les ombres cauchemardesques. En revanche, une occasion dérisoire se présentait, j’ai remarqué une silhouette lointaine qui descendait d’une colline peu inclinée mais rocheuse et zigzaguait d’un virage net. Je n’y pouvais rien pour l’aider, car lorsque l’on se fixe un objectif, la vocation semble, cela va de soi,  indissociable avec l’effort que l’on fournit inépuisablement afin de parvenir à la phase de réalisation, tout en l’exécutant aux dépens d’autrui. D’autant plus que la cadence intense rythmique ne daigne pas à m’arrêter un instant pour garder le tempo de ma respiration particulière à chaque trajet. Après avoir brusqué ses pas à la fin de sa descente périlleuse, semble-t-il, la silhouette qui était un vieux clochard, me biglait de temps à autre avant de loucher quelques secondes une 2CV brune rouille avec ses phares faibles. Son regard croise le mien, seulement. Je suis passé devant le fameux pont en bois au bout duquel l’homme se dandinait bizarrement. Le chauffeur rencontrait sûrement du regard le vagabond étant donné qu’il n’était pas passé à côté de moi. Je continue ma route.

2. Le pont, c’est où je dors. Où que j’erre, je reviens toujours au pont. Pour dormir. J’ai tout un luxe de cartons arborés d’un tachisme noirâtre. Là où je dors, c’est juste en-dessous du pont. Il y a un espace succinct entre la base du pont et la chaussée. Du coup, je ne peux pas relever trop ma tête en me réveillant car le plafond se trouve juste un milimètre de mon lit. D’ailleurs, je dois glisser en adossant le sol pour parvenir au fond de la chambre. La température ou les saisons ne me gênent plus, heureusement qu’il fait un petit peu chaud là-dedans vu que le vent n’aère pas trop. J’ai choisi cet endroit avantageux par hasard, ou bien encore, par voie du destin parce que, quand on est un va-nu-pieds avec rien de rien, on n’est ni intransigeant ni exigeant. Je surveille de temps à autre la propreté du site merveilleux, du moins je jette loin les cadavres ou les défunts qui sont malchanceux d’y succomber. Bon, c’est mon lieu, quoi. C’est pour ça aussi que je deviens hostile quand un de mes homologues lointains y arrive pour s’accaparer cet endroit auquel je suis attaché affectueusement. Même s’il fait un total blackout et un froid de canard, je ne partagerai pas ma chambre avec quiconque! L’homme me regarde de loin longuement. Il arrive ensuite doucement au bord de la colline où je cueille des fruits rouges et des champignons. Oui, je ne suis pas encore succombé de l’empoisonnement de certains de ces derniers. Cette venue impromptue me casse la tête étant donné que je ne sais pas si cette personne va essayer de dormir ici ou pas. Cela me casse la tête parce que je dois absolument mettre en perspective certains recours pour chasser l’autre. Cet esprit hémophilique vient de soi conformant à la loi de la Nature. En tout cas, le destin m’importune, surtout pour mon projet de meurtre, car il y a tout à coup une voiture prend la prétendument future victime loin d’ici. Dommage.

3. Il fût une nuit sans clignements lumineux à l’horizon. Les flocons succincts de neige, emportés par une bourrasque rude, jonchaient la chaussée avant de s’accumuler en un amas linéaire blanc. Saffie ne pût distinguer des allures en blanc marchant en hâte vers un quelconque abri, un bistrot des alentours de préférence. Assise sur le bord de sa fenêtre de chambre, munie des binoculaires de théâtre vintages, celle-ci contempla distraitement le panorama hivernal, une couche de blanc en bas planquée sur un fond sombre et morose. Ce soir-là, elle fût abattue de déception de ne pas pouvoir pérenniser sa préoccupation favorite puisque rien ne pût être décelé par son champ optique. Elle allait se coucher lorsque Séléné dispersa d’un coup de fouet magique les cumulonimbus ouatés, radiant un patch de lieu lointain, la colline du périphérique. Elle remarqua d’emblée une silhouette échouée à pas minutieux, évitant les branches et les tiges de s’accrocher à son habit rapiécé. Le spectateur le visionnait avec enthousiasme et s’amusait à chaque esquive et à chaque virage du personnage théâtral. Elle applaudit fougueusement à la réussite de l’acteur d’avoir descendu la colline raide en bas de laquelle se trouvait un pont en bois sculpté au motif floral. Le montagnard ancra ses semelles dans la terre boueuse à l’une des extrémités du pont et pivota à maintes reprises sa tête cherchant quelque chose. Par pure intuition, il fixa son regard en direction de l’observateur qui sursauta d’un bond. Elle balbutia des interjections d’étonnement et de confusion face à cet aléa que le sujet pouvait ressentir sa présence transcendante. Peureuse, elle alla se réfugier sous l’assurance de sa couverture et s’efforça d’effacer cette contre-attaque virulente et brutale. Dehors, il neigeait toujours et la lune se dévoila à nouveau de son rideau cotonneux.

4. La journée était sûrement épuisante pour mon père qui a fréquenté les malades pour donner des consultations de la dégénérescence de leurs pathologies. Je sais que mon père ne fait pas partie de la divinité de Parques, n’exerce pas le métier du Faucheur et n’est pas non plus un demi-dieu…lui aussi succombera à la vie mondaine. Or, il essayait de son mieux de guérir les malchanceux. Et aujourd’hui encore, je l’ai accompagné pour témoigner l’effort qu’il manifestait, l’aider quand l’occasion se présentait de même que rendre l’ambiance un peu plus chaleureuse. Je l’idolâtre étant donné sa commisération et sa sincérité envers un autrui en misère. Je veux acquérir également ces qualités. En revanche, il me manque l’énergie et l’ardeur; je suis tombé en sommeil éternel, semble-t-il, dès que l’on est monté dans notre fierté de luxe: la 2CV avec quoi mon père a décidé de l’utiliser uniquement au service de la profession. Je pense avoir ouvert à mi-clos ma paupière gauche en traversant le fameux pont auquel attache une grande importance pour les habitants car il relie le pâté de maisons avec le monde extérieur. Je pense d’avoir entendu mon père parler à quelqu’un pour qui les énoncés saccadaient avec une voix de fausset. Je pense les avoir éprouvés.


5. Je sais qui je suis. Je veux rester tel que je suis. Je jouais souvent à cet endroit, sur le pont de mon petit village, avec les autres enfants. On jouait au ballon, à cache-cache ainsi que les jeux d’imitation et d’imagination: la guerre, l’investigation et j’en passe. Lorsqu’il faisait beau où le temps et la nature semblait en harmonie parfaite, même les oiseaux chantaient à l’unisson avec le sifflement singulier du vent à travers les feuillages des buissons, on pêchait depuis le bord du pont en nous servant d’une canne à pêche inventée ingénieusement d’une branche morte et un fil dont l’extrémité se trouvait un vers de terre frais comme appât. Cette scène immuable n’engendre jamais d’une sensation soporifique chez moi. Au contraire, je me figeais en mouvement constant dans ces répétitions. Il n’y a rien qui m’empêche d’avancer dans le temps. Je voyais encore et toujours les mêmes verts et les mêmes bleus. Ah! Qui est-ce en train de descendre vers ici? Il paraît très familier…il s’approche…ce visage…cette cicatrice sur la joue gauche… Oh! Oh! Oh! Cette révélation me force…à m’oublier et à procéder à la phase finale du souvenir: l’oubli. Je…me dilue…dans le temps… Je me vois déformé sur la face gelée de la rivière qui coulait jadis rapidement et dans laquelle on voyait les truites résistées tellement contre le courant leste qu’elles semblaient demeurer sur place, sans se mouvoir…figé. Je me cède à l’oubli.