1. Métrosexuel
de confession, je tenais à m’accorder à la tyrannie du look auquel s’attachait
divers efforts: régime, exercice, obstination et j’en passe. Cela voulait dire
que j’avais, du moins à vue de nez, la parfaite morphologie d’un mannequin sans
qu’on doive m’altérer et me modifier grâce aux logiciels adéquats tels que les
hommes à soi-disant abdominaux sculptés figurés sur la page de couverture ont
connu. Pour pérenniser ce don physique longtemps escompté, un cadre intransigeant
s’impose à ma vie routinière dans laquelle j’avais intérêt de faire du jogging.
Il neigeait et j’ai eu de petites voix dans l’esprit qui me susurraient de
rester exceptionnellement à l’intérieur
dont l’air était ambiant pour cette soirée-là. À contrario d’Oscar
Wilde, je me maîtrisais de mes élans triviaux contre lesquels se battaient
puérilement les intentions nées en amont. Comme d’habitude, je sortais, pourvu
d’un frontale, au moment où le
crépuscule dorait l’horizon avec son dernier raie du jour, après quoi le cœur de
la forêt ténébreux faillait glisser en total néant si ce n’est une lumière
argentée succédant pile à son heure éclairait distinctement les ombres
cauchemardesques. En revanche, une occasion dérisoire se présentait, j’ai
remarqué une silhouette lointaine qui descendait d’une colline peu inclinée
mais rocheuse et zigzaguait d’un virage net. Je n’y pouvais rien pour l’aider,
car lorsque l’on se fixe un objectif, la vocation semble, cela va de soi, indissociable avec l’effort que l’on fournit
inépuisablement afin de parvenir à la phase de réalisation, tout en l’exécutant
aux dépens d’autrui. D’autant plus que la cadence intense rythmique ne daigne
pas à m’arrêter un instant pour garder le tempo de ma respiration particulière
à chaque trajet. Après avoir brusqué ses pas à la fin de sa descente
périlleuse, semble-t-il, la silhouette qui était un vieux clochard, me biglait
de temps à autre avant de loucher quelques secondes une 2CV brune rouille avec
ses phares faibles. Son regard croise le mien, seulement. Je suis passé devant
le fameux pont en bois au bout duquel l’homme se dandinait bizarrement. Le chauffeur
rencontrait sûrement du regard le vagabond étant donné qu’il n’était pas passé
à côté de moi. Je continue ma route.
2. Le pont, c’est
où je dors. Où que j’erre, je reviens toujours au pont. Pour dormir. J’ai
tout un luxe de cartons arborés d’un tachisme noirâtre. Là où je dors, c’est
juste en-dessous du pont. Il y a un espace succinct entre la base du pont et la
chaussée. Du coup, je ne peux pas relever trop ma tête en me réveillant car le
plafond se trouve juste un milimètre de mon lit. D’ailleurs, je dois glisser en
adossant le sol pour parvenir au fond de la chambre. La température ou les
saisons ne me gênent plus, heureusement qu’il fait un petit peu chaud là-dedans
vu que le vent n’aère pas trop. J’ai choisi cet endroit avantageux par hasard,
ou bien encore, par voie du destin parce que, quand on est un va-nu-pieds avec
rien de rien, on n’est ni intransigeant ni exigeant. Je surveille de temps à
autre la propreté du site merveilleux, du moins je jette loin les cadavres ou
les défunts qui sont malchanceux d’y succomber. Bon, c’est mon lieu, quoi. C’est
pour ça aussi que je deviens hostile quand un de mes homologues lointains y
arrive pour s’accaparer cet endroit auquel je suis attaché affectueusement.
Même s’il fait un total blackout et un froid de canard, je ne partagerai pas ma
chambre avec quiconque! L’homme me regarde de loin longuement. Il arrive ensuite
doucement au bord de la colline où je cueille des fruits rouges et des
champignons. Oui, je ne suis pas encore succombé de l’empoisonnement de
certains de ces derniers. Cette venue impromptue me casse la tête étant donné
que je ne sais pas si cette personne va essayer de dormir ici ou pas. Cela me
casse la tête parce que je dois absolument mettre en perspective certains
recours pour chasser l’autre. Cet esprit hémophilique vient de soi conformant à
la loi de la Nature. En tout cas, le destin m’importune, surtout pour mon
projet de meurtre, car il y a tout à coup une voiture prend la prétendument
future victime loin d’ici. Dommage.
3. Il fût une
nuit sans clignements lumineux à l’horizon. Les flocons succincts de neige,
emportés par une bourrasque rude, jonchaient la chaussée avant de s’accumuler
en un amas linéaire blanc. Saffie ne pût distinguer des allures en blanc
marchant en hâte vers un quelconque abri, un bistrot des alentours de
préférence. Assise sur le bord de sa fenêtre de chambre, munie des binoculaires
de théâtre vintages, celle-ci contempla distraitement le panorama hivernal, une
couche de blanc en bas planquée sur un fond sombre et morose. Ce soir-là, elle
fût abattue de déception de ne pas pouvoir pérenniser sa préoccupation favorite
puisque rien ne pût être décelé par son champ optique. Elle allait se coucher
lorsque Séléné dispersa d’un coup de fouet magique les cumulonimbus ouatés,
radiant un patch de lieu lointain, la colline du périphérique. Elle remarqua d’emblée
une silhouette échouée à pas minutieux, évitant les branches et les tiges de s’accrocher
à son habit rapiécé. Le spectateur le visionnait avec enthousiasme et s’amusait
à chaque esquive et à chaque virage du personnage théâtral. Elle applaudit
fougueusement à la réussite de l’acteur d’avoir descendu la colline raide en
bas de laquelle se trouvait un pont en bois sculpté au motif floral. Le
montagnard ancra ses semelles dans la terre boueuse à l’une des extrémités du
pont et pivota à maintes reprises sa tête cherchant quelque chose. Par pure
intuition, il fixa son regard en direction de l’observateur qui sursauta d’un
bond. Elle balbutia des interjections d’étonnement et de confusion face à cet
aléa que le sujet pouvait ressentir sa présence transcendante. Peureuse, elle
alla se réfugier sous l’assurance de sa couverture et s’efforça d’effacer cette
contre-attaque virulente et brutale. Dehors, il neigeait toujours et la lune se
dévoila à nouveau de son rideau cotonneux.
4. La journée
était sûrement épuisante pour mon père qui a fréquenté les malades pour donner
des consultations de la dégénérescence de leurs pathologies. Je sais que mon
père ne fait pas partie de la divinité de Parques, n’exerce pas le métier du
Faucheur et n’est pas non plus un demi-dieu…lui aussi succombera à la vie
mondaine. Or, il essayait de son mieux de guérir les malchanceux. Et
aujourd’hui encore, je l’ai accompagné pour témoigner l’effort qu’il
manifestait, l’aider quand l’occasion se présentait de même que rendre
l’ambiance un peu plus chaleureuse. Je l’idolâtre étant donné sa commisération
et sa sincérité envers un autrui en misère. Je veux acquérir également ces
qualités. En revanche, il me manque l’énergie et l’ardeur; je suis tombé en
sommeil éternel, semble-t-il, dès que l’on est monté dans notre fierté de luxe:
la 2CV avec quoi mon père a décidé de l’utiliser uniquement au service de la
profession. Je pense avoir ouvert à mi-clos ma paupière gauche en traversant
le fameux pont auquel attache une grande importance pour les habitants car il
relie le pâté de maisons avec le monde extérieur. Je pense d’avoir entendu mon
père parler à quelqu’un pour qui les énoncés saccadaient avec une voix de
fausset. Je pense les avoir éprouvés.
5. Je sais qui je
suis. Je veux rester tel que je suis. Je jouais souvent à cet endroit, sur le
pont de mon petit village, avec les autres enfants. On jouait au ballon, à
cache-cache ainsi que les jeux d’imitation et d’imagination: la guerre,
l’investigation et j’en passe. Lorsqu’il faisait beau où le temps et la nature
semblait en harmonie parfaite, même les oiseaux chantaient à l’unisson avec le
sifflement singulier du vent à travers les feuillages des buissons, on pêchait
depuis le bord du pont en nous servant d’une canne à pêche inventée
ingénieusement d’une branche morte et un fil dont l’extrémité se trouvait un
vers de terre frais comme appât. Cette scène immuable n’engendre jamais d’une
sensation soporifique chez moi. Au contraire, je me figeais en mouvement
constant dans ces répétitions. Il n’y a rien qui m’empêche d’avancer dans le
temps. Je voyais encore et toujours les mêmes verts et les mêmes bleus. Ah! Qui
est-ce en train de descendre vers ici? Il paraît très familier…il s’approche…ce
visage…cette cicatrice sur la joue gauche… Oh! Oh! Oh! Cette révélation me
force…à m’oublier et à procéder à la phase finale du souvenir: l’oubli. Je…me
dilue…dans le temps… Je me vois déformé sur la face gelée de la rivière qui
coulait jadis rapidement et dans laquelle on voyait les truites résistées
tellement contre le courant leste qu’elles semblaient demeurer sur place, sans
se mouvoir…figé. Je me cède à l’oubli.